
Succès surprise pour Jim Jarmusch, Lion d'or à Venise

Au terme d'une édition très politique, la 82e Mostra de Venise a récompensé samedi un film américain indépendant de Jim Jarmusch sur la famille, décernant un lot de consolation à "The Voice of Hind Rajab" sur Gaza.
Lors d'une cérémonie de clôture marquée par les nombreux gestes et déclarations de solidarité à l'égard de Gaza, c'est le film "Father Mother Sister Brother" de Jim Jarmusch qui s'est vu décerner, à la surprise générale, le Lion d'or.
Il s'agit d'un triptyque entre le New Jersey, Dublin et Paris, porté par un casting cinq étoiles (Adam Driver, Cate Blanchett, Tom Waits...)
Très sobre dans sa mise en scène, ce long-métrage, où silences, gestes et regards comptent souvent plus que les dialogues, se veut une réflexion tendre sur la famille. Une sorte "d'anti-film d'action", s'est amusé son réalisateur, 72 ans et figure du cinéma indépendant, qui a également écrit le scénario.
Lunettes noires sur le nez et portant un pin's "Enough" ("Assez"), Jim Jarmusch a estimé qu'on "n'a pas besoin de parler politique pour être politique. Ca peut mettre en danger l'empathie et la connexion entre les gens, qui est la première étape pour résoudre les problèmes qu'on a".
Il a également remercié le jury, présidé par son compatriote Alexander Payne, d'avoir apprécié son "film discret".
Il a été choisi devant le favori de la Mostra, "The Voice of Hind Rajab", récompensé du Lion d'argent, le deuxième prix le plus important.
Sa réalisatrice, Kaouther Ben Hania, a dédié ce prix aux travailleurs du Croissant-rouge palestinien. L'histoire de Hind Rajab est "l'histoire tragique de tout un peuple souffrant d'un génocide infligé par un gouvernement israélien criminel qui agit avec impunité", a-t-elle déclaré, très émue.
- Public bouleversé -
Ovationné pendant 23 minutes, ce long-métrage a bouleversé les festivaliers. Sa réalisatrice s'est appuyée sur les véritables enregistrements des appels au secours d'une fillette palestinienne de cinq ans qui avaient suscité une vive émotion au moment de leur révélation.
Hind Rajab a été retrouvée morte à l'intérieur d'une voiture criblée de balles dans la ville de Gaza, plusieurs jours après avoir passé des heures au téléphone, le 29 janvier 2024, avec le Croissant-Rouge palestinien. Le véhicule dans lequel elle voyageait avec six membres de sa famille avait été visé par des soldats israéliens.
Malgré une programmation faisant la part belle aux stars et grands noms du cinéma, la guerre dans la bande de Gaza s'est largement imposée au cours de cette Mostra.
La 82e édition s'est ouverte sur l'appel d'un collectif fondé par dix cinéastes italiens à condamner la guerre déclenchée après l'attaque sans précédent du Hamas en Israël le 7 octobre 2023.
Ont suivi un défilé inédit sur le Lido de plusieurs milliers de manifestants il y a une semaine et le soutien d'artistes portant pin's et pancartes sur le tapis rouge ou devant les journalistes.
- Servillo récompensé -
Le festival a également désigné meilleur réalisateur l'Américain Benny Safdie, qui a offert un rôle en or à Dwayne Johnson, alias The Rock, dans "The Smashing Machine", sur un combattant de MMA en proie à des addictions.
Souvent considérée comme une rampe de lancement pour les Oscars, la Mostra offre en effet une large place au cinéma hollywoodien et aux plateformes de streaming, contrairement à son concurrent cannois.
Mais c'est en définitive l'acteur italien Toni Servillo qui est reparti avec une récompense pour son rôle de président veuf en fin de mandat rattrapé par des dilemmes moraux dans "La Grazia".
Le film, qui traite en filigrane de l'euthanasie, signe une nouvelle collaboration avec Paolo Sorrentino qui, comme lui, a acquis une stature internationale avec "La Grande Bellezza", Oscar du meilleur film étranger en 2014.
La Chinoise Xin Zhilei, au sommet de son art dans "The sun rises on us all" de Cai Shangjun, a reçu la coupe Volpi de la meilleure actrice pour sa performance de femme tourmentée lorsque reparaît un ancien amant.
La cérémonie s'est achevée sur un message de l'archevêque Pierbattista Pizzaballa, patriarche de Jérusalem, qui a appelé en visio à cesser "cette guerre au plus vite". "Nous le savons, cela n'a plus de sens de continuer. Il est temps d'arrêter cette dérive."
Le festival referme ses portes avec la superproduction française "Chien 51", un thriller dans un Paris futuriste et anxiogène, avec Adèle Exarchopoulos.
L.Lopez--SFF