
Droits de douane: l'incertitude fait tâche d'huile dans le monde de l'art

Dans le milieu feutré de l'art contemporain, les décisions du président Donald Trump sur les droits de douane entretiennent l'incertitude, certains acheteurs préférant patienter, confient des galeristes à l'AFP.
A quelques pas du centre Pompidou à Paris, la galerie Ceysson & Bénétière - présente dans plusieurs pays, dont les Etats-Unis -, accueille des oeuvres d'artistes contemporains.
"Depuis le début d'année, l'incertitude au niveau politique et économique a aussi créé une incertitude à l'achat, dans la mesure où les collectionneurs ne savent pas à quelle sauce ils seront mangés avec les futures taxes, ni comment va évoluer leur situation financière personnelle", raconte Loïc Bénétière, l'un des cofondateurs de la galerie.
Ce dernier en veut pour preuve les grandes foires d'art contemporain du printemps, durant lesquelles "pour la première fois des collectionneurs nous ont dit +J'attends pour voir comment vont s'orienter nos actifs avant de prendre la décision+".
Dans le 6e arrondissement de Paris, qui héberge nombre de galeristes, l'artiste peintre Denis Gérablie se dit aussi circonspect.
"Les Américains représentent au moins 50% de mes clients", explique-t-il dans son atelier. Denis Gérablie dit avoir remarqué moins d'effervescence ces derniers mois.
La question des taxes éventuelles "ne touchera pas tous les acteurs de la même façon. Les grosses galeries trouveront toujours preneurs, le problème est plus pour les acteurs intermédiaires comme moi", juge-t-il.
Depuis son retour à la Maison Blanche en janvier, Donald Trump a imposé des surtaxes massives sur certains secteurs comme l'acier, visé certains pays ou encore déclaré des droits de douane universels - avant de faire en partie marche arrière.
En attendant, une surtaxe de 10% est appliquée sur les produits importés aux Etats-Unis. Le flou persiste sur l'imposition de droits de douane sur les oeuvres d'art jusqu'ici exemptées, d'autant plus que la définition des produits concernés par les surtaxes demeure sujette à interprétation, explique un juriste interrogé par l'AFP.
Adam Green, consultant en art pour de gros collectionneurs américains, explique d'ailleurs s'être arraché les cheveux pour comprendre les tenants et les aboutissants des surtaxes.
Dans tous les cas, "Donald Trump a mis en place (en avril, NDLR) une pause de 90 jours. Lorsque cette pause prendra fin, il est toujours possible que de nombreux pays choisissent de répondre aux surtaxes des Etats-Unis en appliquant des mesures de rétorsion, et ils pourraient alors inclure les œuvres d'art américaines", craint-il.
- Risques -
Du côté des maisons de ventes aux enchères, on dit ne pas avoir d'inquiétude marquée.
"Il est trop tôt pour déterminer l'impact potentiel de nouveaux droits de douane", explique Christie's dans un courriel. "Nous suivons attentivement l'évolution de la situation et procéderons, le moment venu, aux ajustements nécessaires", poursuit-elle.
Ce début d'année en demi-teinte suit pourtant une année 2024 déjà morne pour le secteur. Un transporteur spécialisé dans l'art, qui opère entre l'Europe et les Etats-Unis, explique avoir constaté un recul des volumes de transport de 20% en début d'année par rapport à 2024. "Et 2024 était déjà une mauvaise année", dit-il, sans vouloir être nommé.
Selon le rapport annuel CyclOpe sur les matières premières, les chiffres compilés par Artprice montrent un déclin des ventes aux enchères mondiales pour les arts de plus de 33,5% l'an dernier, à presque 10 milliards de dollars.
Les Américains sont traditionnellement de gros acheteurs d'art. Mais les surtaxes pèsent sur l'économie.
"Nous sommes dans une phase d'incertitude", commente Philippe Chalmin, professeur émérite à l'université Paris-Dauphine, qui coordonne le rapport CyclOpe.
"La partie émergée de l'iceberg, c'est les ventes aux enchères. Or d'après mes échos, quelques oeuvres ont été retirées de ces ventes récemment", indique-t-il, signe que les prix de réserve n'avaient pas été atteints.
En mai, une sculpture de Giacometti estimée à 70 millions de dollars n'a pas trouvé preneur lors d'une vente aux enchères à New York, rapportait récemment le quotidien Financial Times.
"Dans ces conditions, les collectionneurs deviennent plus sélectifs", confirme Adam Green.
De son côté, Loïc Bénétière conserve "pour l'instant" l'antenne de sa galerie à New York "mais il y a un réel questionnement des acteurs français aux Etats-Unis sur leur place".
U.Campbell--SFF