
Le cannabis médical, une production "made in Germany" en plein boom

Dans un lieu tenu secret en Bavière, une épaisse porte en acier dissimule une activité en plein essor en Allemagne: la fabrication de médicaments à base de cannabis, dopée par une législation parmi les plus libérales d'Europe.
Bonnets chirurgicaux, masques, blouses et gants bleus d'infirmiers: les salariés de la start-up Cantourage transforment les fleurs séchées de cannabis provenant de plus de 15 pays différents (Jamaïque, Ouganda, Portugal, Nouvelle Zélande, ...) en produits pharmaceutiques "made in Germany".
A l'aide de petits ciseaux, ils taillent la matière première en petites boulettes marron vert destinées à soulager entre autres les douleurs chroniques, les insomnies et traiter certaines formes d'épilepsie.
"Nous nous engageons à respecter les normes de sécurité les plus strictes, tant pour nos employés que pour nos produits", affirme à l'AFP le patron de Cantourage, Philip Schetter, 41 ans, lors d'une visite de l'usine.
S'il préfère ne pas révéler la localisation précise du site, c'est en sachant que les 4 à 6 tonnes d'herbe traitées tous les ans peuvent attirer les convoitises.
La légalisation du cannabis récréatif reste rare dans le monde, mais l'usage médical de cette plante psychotrope est autorisé dans une cinquantaine de pays, dont l'Allemagne depuis 2017, le plus grand marché de l'Union européenne.
- "HIGH" s'élance en bourse -
Stimulées par cet environnement favorable, les entreprises disposant d'une licence pour commercialiser cet "or vert" ont essaimé en Allemagne.
Parmi elles, Cansativa, plateforme allemande de vente en ligne de cannabis thérapeutique, fondée en 2017, et Cantourage, créée en 2019.
Cette dernière entend tailler des croupières aux pionniers comme les laboratoires néerlandais Bedrocan ou canadien Aurora.
En cinq ans, le chiffre d'affaires de Cantourage, qui emploie 70 personnes, est passé de moins d'un million à 40 millions d'euros. L'an dernier, l'entreprise a dégagé son premier bénéfice opérationnel.
Cantourage s'est malicieusement fait lister sous l'acronyme "HIGH" - terme bien connu des usagers de drogue - lors de son entrée à la bourse de Francfort fin 2022.
- Frontière "floue" -
Entré dans l'industrie du cannabis en 2018 où il supervisait pour le concurrent Aurora la construction de sites de production en Allemagne, Philip Schetter reconnaît que la frontière entre drogues récréatives et médicinales est parfois "floue".
L'an dernier, l'Allemagne a franchi une étape décisive dans l'assouplissement de la législation en autorisant la possession de cannabis à usage récréatif en quantité limitée.
Parallèlement, la loi a aussi rendu plus facile la prescription de cannabis médical. Le cannabis n'est plus considéré comme une substance "stupéfiante", ce qui facilite considérablement la délivrance sur ordonnance.
"On peut se procurer du cannabis en pharmacie sans être gravement malade", constate M. Schetter, se félicitant d'"une augmentation de la demande". Le cannabis récréatif est quant à lui disponible dans des clubs dédiés.
Au troisième trimestre 2024, les importations de matière première ont augmenté de plus de 70% par rapport à la période précédente, les trois premiers mois complets au cours desquels les réformes de l'Allemagne en matière de cannabis ont été mises en place.
La filière allemande du cannabis thérapeutique est encore dépendante des importations de fleurs et d'extraits - le Canada fournissant les quantités les plus importantes -, alors que seules trois entreprises disposent actuellement d'une licence de culture dans le pays.
Selon Bloomwell, plateforme allemande en ligne qui met en relation patients et médecins pour qu'ils leur prescrivent du cannabis, le nombre d'ordonnances a bondi en décembre dernier de 1.000% par rapport à mars 2024, juste avant la nouvelle législation.
Mais l'arrivée au pouvoir début mai des conservateurs du chancelier Friedrich Merz, qui était opposé à la légalisation du cannabis récréatif, pourrait bouleverser le développement de la filière.
Le nouveau gouvernement a promis d'évaluer à l'automne la loi sur le cannabis et éventuellement de faire machine arrière. Le patron de Cantourage assure rester serein: "Nous sommes une entreprise pharmaceutique. Nous fabriquons des médicaments et les livrons aux pharmaciens."
J.Scott--SFF